Face à une entreprise cliente en difficulté, le banquier doit souvent choisir entre deux risques :
– celui de se voir reprocher le concours abusif,
– celui de se voir reprocher l’interruption du concours.
Dans le premier cas il lui sera reproché d’avoir contribué à creuser le passif de l’entreprise en assurant sa très provisoire survie.
Dans le second cas, il encourra le reproche d’avoir provoqué de manière inopportune le dépôt de bilan de l’entreprise.
Depuis 2006, la Loi relative à la sauvegarde de l’entreprise du 27 juillet 2005 (puis l’Ordonnance du 18 décembre 2008 qui a réformé le droit des procédures collectives) a organisé l’irresponsabilité du prêteur dans le but d’éliminer les freins aux concours bancaires.
Plus récemment la Loi du 19 octobre 2009 (art. L 313-12 du Code Monétaire et financier tendant à favoriser le crédit aux PME) limite la liberté des banques et oblige les Etablissements de Crédit en général, à motiver la rupture de leurs relations contractuelles, c’est à dire à fournir les raisons de la réduction ou de l’interruption des concours : l’emprunteur doit savoir pourquoi le crédit lui est supprimé ou réduit.
La Chambre Commerciale de la Cour de Cassation a rendu le 27 mars 2012 deux arrêts (Jurisdata Ed.G 28.5.2012-005757, et Jurisdata 2012-005827) excellemment commentés respectivement par le Professeur Piedelièvre et par François Boucaut, Avocat aux Conseils, puis d’autres décisions notamment les 19 juin 2012 (n° 11-18.940) et 2 Octobre 2012 (n° 11 23 213).
Nous entendons ici formuler quelques remarques du point de vue du praticien sur la situation nouvelle née des développements récents.
La loi est venue au secours des banques en ce qu’elle limite et clarifie les cas d’ouverture de leurs responsabilité dans le cas d’un recours judiciaire en responsabilité pour soutien abusif .
Le texte énonce l’irresponsabilité du prêteur, c’est à dire du banquier, pour les préjudices résultant des concours, à l’exception de trois cas :
– la fraude,
– l’immixtion dans la gestion
– le caractère disproportionné des garanties exigées.
Les acteurs d’une opération de prêt, prêteurs, emprunteurs, cautions, disposent-ils de critères clairement établis ?
1 – Ce qui est clarifié
a) La jurisprudence est établie sur le principe que les trois exceptions à l’irresponsabilité du prêteur (fraude, immixtion et garanties disproportionnées) constituent des cas d’ouverture à une action en responsabilité mais que les concours contestés doivent être « en eux-mêmes fautifs » .
Ce faisant la Cour de Cassation instaure une double charge de la preuve qui implique le respect cumulé des dispositions de l’article L650-1 du Code de Commerce , et d’un arsenal de conditions liées à la jurisprudence antérieure et abondante sur le concours abusif : le prêt contesté doit être démontré frauduleux dans les termes de la jurisprudence traditionnelle. (Soutien d’un emprunteur dont la situation est irrémédiablement compromise, caractère ruineux ou inadapté du crédit entrainant de fait une aggravation de la situation, etc..).
b) Globalement, les critères de la jurisprudence antérieure sont maintenus, de même que les actions qui ne relèvent pas de l’art. 650 du Code de Commerce : Obligation de conseil, mise en garde d’un emprunteur « non averti ».
c) Le domaine de l’article L-650 du Code de Commerce est circonscrit aux hypothèses de sauvegarde, de redressement et de liquidation judiciaire du bénéficiaire du crédit : en conséquence la banque ne bénéficie pas d’exonération de sa responsabilité durant la procédure de conciliation.
d) L’application de l’article L 650-1 du Code de Commerce n’est pas limitée aux seuls établissements de crédit mais s’étend -par exemple- à un fournisseur qui consent des délais de payement.
e) Il nous semble acquis que l’emprunteur ne peut invoquer la responsabilité de son banquier qui connaissait sa situation irrémédiablement compromise, ou qui lui a consenti un crédit ruineux, que s’il démontre qu’il ignorait lui-même cette situation, que le banquier connaissait.
f) Les garanties prises pour le remboursement du crédit ne sont pas jugées nulles ou valides, elles peuvent être réduites par le juge du fond.
g) Alors que le juge du fond avait retenu qu’une autorisation de découvert constituait une fraude si elle était la contrepartie de l’obtention de l’engagement des cautions, en raison de la rupture de l’égalité entre les créanciers, de façon surprenante la Cour de Cassation a censuré cette décision aux motifs « qu’en se déterminant par ces motifs impropres à caractériser l’intention frauduleuse de la banque, la Cour d’Appel n’a pas donné de base légale à sa décision. » La loi protège le créancier, elle ne protège pas la caution.
2 – Ce qui reste ambigu.
Le droit de la responsabilité bancaire, essentiellement jurisprudentiel, continuera de connaître un haut niveau d’incertitude : nous énonçons quelques exemples d’incertitude.
a). Les limites de la présomption d’irresponsabilité du banquier seront-elles interprétées par le Juge du fond de façon extensive ? L’irresponsabilité du banquier voulue par le législateur serait alors vidée de consistance. Il semble cependant que l’on s’oriente plutôt vers la consolidation de l’irresponsabilité…
b). La sécurité juridique du banquier reste illusoire dans la mesure où la présomption d’irresponsabilité est limitée par des exceptions dont la formulation permet une grande flexibilité d’appréciation par le Juge du fond :
– La fraude est un concept suffisamment flou pour permettre une interprétation extensive ou restrictive .
La Cour de Cassation nous dit que la fraude dans notre matière « ne se démarque guère de la fraude pénale et il s’agit d’un acte qui a été réalisé en utilisant des moyens déloyaux destinés à surprendre un consentement, à obtenir un avantage matériel ou moral indu ou réalisé avec l’intention d’échapper à l’application d’une loi impérative ou prohibitive . ». L’adéquation à une situation concrète ouvre la porte à l’incertitude. En outre, la fraude s’apprécie-t-elle en la personne du débiteur ou du prêteur, c’est à dire le banquier ? Au préjudice de qui ?
– Quant à l’immixtion caractérisée, l’imprécision est encore plus grande : le principe demeure de la non immixtion du banquier dans la gestion de son client, mais comment qualifier son comportement lorsqu’il impose une affectation spécifique à un crédit qu’il octroie, lorsqu’il conseille (en fait impose) une restructuration, ou encore s’il contraint son emprunteur à accepter le libellé d’une clause de surveillance (licite dans le principe) ?
Dans la perception du juge, le simple choix d’accorder un concours bancaire (quelle que soit sa forme) ou de le refuser ne sera-t-il pas constitutif d’une immixtion ? Au vu, notamment des conditions qui assortissent le concours – par exemple – l’exigence d’un plan social ?
Le banquier qui investigue sur les capacités financières de l’emprunteur et sur les risques de l’endettement, n’est-il pas amené inéluctablement à s’immiscer dans la gestion ?
– L’existence de garanties disproportionnées : ce cas d’ouverture de la responsabilité du banquier continuera assurément de générer un abondant contentieux.
Il vise en effet une situation fréquente à l’issue judiciaire incertaine, en raison d’équivoques sur la définition des capacités financières de l’emprunteur, des modalités des concours, (escompte d’effets sans provision, cavalerie, également constitutifs de fraude, mobilisation de créances nées-Dailly) des risques et des chances de l’entreprise dans le contexte économique. Disproportionnées par rapport aux capacités financières de l’emprunteur ou de la caution ?
En conclusion, il faut bien constater qu’il existe de nombreuses définitions et de nombreux critères aléatoires. La Loi et la jurisprudence de la Cour de Cassation qui l’interprète, ont crée un nouveau régime de la responsabilité civile , distinct du régime général de la responsabilité civile, au contour imprécis. Espérons que la jurisprudence future transformera le tableau impressionniste en tableau figuratif pour une meilleure sécurité juridique.
Cass Com 27 mars 2012 n° 10-20077
Cass Com 27 mars 2012 n° 11-13536
Cass Com 19 juin 2012 n° 11-18940
Cass Com 2 octobre 2012 n° 11-23213